Eniwekwe- De moi à vous (partie1)

Publié le par rosebud

[...] Dans la série de vidéos que j'ai faite jusqu'ici j'ai passé beaucoup de temps, de passion et d'énergie à vous parler des statistiques, de ce que je pense par rapport à la guérison, j'ai fait une vidéo à propos de ce que je pense de la thinspiration, j'ai fait des vidéos concernant mon expérience personnelle des conséquences physiques, j'ai également essayé de présenter la vision des personnes qui partagent la vie d'une anorexique. Mais la chose que j'ai évité jusqu'à présent c'est de raconter mon histoire parce que je ne voulais pas que ces vidéos soient centrées sur mon cas, mais récemment j'ai reçu des e-mails de gens qui me demandaient quelle est mon histoire avec l'anorexie. J'ai vraiment hésité à en parler. Mais je sens que le temps est venu pour moi de partager mon expérience personnelle avec vous. Je pense que cela pourrait être utile car beaucoup des gens qui ont vu mes vidéos pensent que je n'ai pas idée de ce je dis et que je n'ai aucune expérience de l'anorexie et il y a même des gens qui me demandent pourquoi j'en parle.

J'ai été anorexique et cela fait deux ans que je m'en remets. Maintenant je suis prête à en parler. J'espère que cela va répondre aux questions à propos de mon expérience, et s'il vous plaît, soyez à mes côtés car cela va être une chose difficile pour moi d'en parler au monde entier. Je pense qu'il me faudrait des heures pour raconter mon histoire en détail, mais je veux partager les grandes lignes.

J'ai commencé à prendre mes mesures et à me peser à l'âge de 9 ou 10 ans. J'avais fortement conscience de ma silhouette et de la taille de mon corps. Les autre filles voulaient jouer aux barbies, moi je voulais aller dans la salle de bains avec un mètre-ruban pour mesurer mon tour de taille. Mes troubles alimentaires -c'est-à-dire quand je me laissais mourir de faim, etc- n'ont commencé que plus tard.

Cela a commencé pendant une période difficile de ma vie, à l'âge de 14 ans. J'ai eu beaucoup de traumatismes pendant mon enfance. Je n'étais pas chez moi avec mes parents quand mon anorexie a commencé, j'étais dans une famille adoptive. J'avais beaucoup de problèmes d'anxiété, j'avais toujours peur de tout. Je ne m'en sortais pas à l'école. Mon appréhension et mon manque de confiance en moi transparassaient chez les autres élèves. Ils s'en amusaient comme les camarades de classe ont l'habitude de le faire et me disaient des choses comme "tu sais, si tu n'étais pas si grosse tu serais vraiment jolie", "si tu maquillais tu ne serais pas si laide". J'avais toujours cela en tête et ce ne fut pas une période très agréable pour moi. Un matin j'ai perdu l'appétit et je ne l'ai pas retrouvé pendant un long moment. A cette époque ce n'était pas une décision consciente de me priver de nourriture, je ne limitais pas mon alimentation, c'était littéralement une perte d'appétit, c'était ma nervosité qui m'empêchait de manger quoi que ce soit.

Quand j'ai senti que je pouvais manger à nouveau, il m'a semblé presque impossible de fournir de la nourriture à mon organisme. A l'âge de 15 ans, j'étais incapable de manger si l'on ne m'aidait pas. Mais les médecins n'appelaient pas cela "anorexie" mais "anxiété", et je crois que dans mon cas, c'était bien de l'anxiété. Ils me disaient "tu es anxieuse, tu es nerveuse, et c'est la raison pour laquelle tu n'arrives pas à manger. Et je les croyais. Je me suis aperçue que j'avais peur à chaque fois que j'essayais de manger.

Ma mère faisait venir une infirmière une fois par semaine. Elle me faisait manger la moitié d'un sandwich et me forçait à boire un verre de ginger ale (boisson gazeuse au gingembre). C'était vraiment la seule occasion à laquelle je mangeais quelque chose de consistant. Mon poids était considérablement en dessous de la normale mais on continuait à me dire que c'était nerveux.

Quand j'ai recommencé à manger j'ai remarqué que mon mental avait changé, mon état d'esprit ne devenait pas sain à mesure que mon corps recouvrait la santé. Je ne pensais pas que je souffrais d'un TCA et personne ne le pensait à ce moment-là. Mais maintenant que je regarde en arrière je me rends compte que c'est là que ça a commencé. J'ai commencé à assimiler la nourriture à la graisse et soudain je passais tout mon temps à penser à la nourriture, au gras, et à mon poids. Et je me disais "qu'est-ce qui ne va pas chez moi?"

A l'âge de 16 ans je me regardais dans le miroir tous les jours et je n'y voyais pas une fille moyenne avec une silhouette moyenne. J'y voyais un monstre défiguré que les gens allaient montrer du doigt et regarder fixement, et dont ils allaient se moquer si je ne perdais pas du poids pour devenir invisible au monde qui m'entourait. Je mangeais peut-être un repas par jour et je mangeais assez pour maintenir mon corps dans un état de santé relativement bon. Mais mon esprit n'était plus là où il devait être, j'étais loin d'avoir un mode de pensée sain.

Mais j'ai gardé cela en moi, je n'en ai rien dit à personne. Donc personne ne l'a vu venir car je n'avais pas l'air malade. C'est là que se situe l'énorme problème avec les TCA. Il y a tellement de gens qui ne sont pas assez maigre pour attirer l'attention dont ils ont besoin. Et c'est ce qui m'est arrivé. J'ai passé beaucoup d'années avec un poids assez élevé pour que personne ne me remarque ou ne remarque mes problèmes.

Je suis tombée enceinte de ma fille à l'âge de 17 ans et ce fut un grand soulagement pour moi. Je ne pouvais plus m'affamer. J'avais quelqu'un d'autre à l'intérieur de mon corps de qui je me sentais entièrement responsable et pour qui je voulais vivre. Et je pensais qu'elle allait me sauver, qu'elle allait sauver ma vie. Et pendant ma grossesse j'avais cette distraction stupéfiante, cette raison stupéfiante de manger. Cela m'a vraiment aidé à me remettre les idées en place parce que je commençais à penser comme une mère. C'est donc resté un peu en sommeil, c'est resté en attente pour revenir au bon moment, on pourrait dire.

En octobre 2000 ma meilleure amie est morte dans mes bras. Elle avait un cancer au cerveau. Trois jours plus tard mon mari et moi nous séparions. Soudain j'étais une mère célibataire de 20 ans, sans amis. Et je pense que le stress de cette situation à tout fait revenir, a fait revenir l'anorexie dans ma vie parce que j'avais besoin de quelque chose pour m'aider à faire face à toutes les choses qui se passaient autour de moi et qui dépassaient mon contrôle. A ce moment-là j'ai replongé dans les TCA. Dans le mois qui a suivi la mort de mon amie, je me suis retrouvée à compter les calories, mon apport en lipides. C'était juste ma façon de contrôler une vie sur laquelle je n'avais pas de contrôle. Je mangeais moins, et de moins en moins tous les jours. Je m'en fichais. Cette fois je me suis laissée perdre le contrôle, mon trouble alimentaire est devenu sévère. Au moment de noêl de cette année, j'avais perdu 25 kilos, c'est-à-dire 25 kilos en deux mois. Et je devenais si faible et fatiguée. Je ne pouvais plus porter ma fille de 2 ans. Mes côtes risquaient de craquer si j'essayais de la lever au dessus de moi parce que j'étais devenue si faible et si fragile si rapidement. Ma mère l'a donc prise et a fini par la garder la plupart du temps parce que je ne pouvais plus me comporter en mère avec elle. Elle avait été ma seule et unique raison de rester en bonne santé et de bien me porter, mais même elle ne pouvait plus me sauver parce qu'on ne peut  pas surmonter cela pour quelqu'un d'autre, on doit le faire pour soi-même...

Publié dans Eniwekwe

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
K
La vache, ça fait mal.
Répondre